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Icône bilatérale, portant d’un côté la Vierge à l’enfant, entourée de prophètes, couverte d’un revêtement en argent (hauteur 0,60 m ; largeur 0,45 m) ; de l’autre côté, l’icône de saint Gérasimos et le lion (Kalamon), dont la surface initiale est élargie sur les quatre côtés par une baguette de bois, large de 2,5 cm environ, pour correspondre aux dimensions du revêtement en argent ajouté au xviie s. et tel qu’il a été conçu pour l’autre face.
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L’icône est conservée dans l’église des Saints-Constantin-et-Hélène, au Patriarcat grec orthodoxe de Jérusalem. Elle provient, selon la tradition, de la Laure de Saint-Gérasimos-et-de-Kalamon, dans le désert, près de Jéricho.
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a) La Vierge Hodigitria Dexiokratousa (Fig. 4) portant le Christ enfant, est représentée à partir de la taille, occupant un rectangle au centre de l’icône. Douze prophètes – leurs noms sont inscrits à côté d’eux – dans des rinceaux de feuillage, portant chacun son symbole de l’Ancien Testament, occupent les bords des quatre côtés. Sur le fond, les inscriptions ΜΡ ΘΥ Η MYPEΛAAIΩTHCA et IC XC.
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Le revêtement couvre toute la surface, sauf les têtes et visages du Christ et de la Vierge, repeints presque en entier, dans le goût douceâtre néo-romantique des peintres d’icônes russes de dévotion au xixe s. Les mains de la Vierge, les mains et les pieds du Christ ne sont pas recouverts non plus. Moins restaurés que les visages, ils laissent entrevoir des traces d’un dessin ample aux valeurs picturales nuancées, propres à la peinture du xiiie s. C’était aussi l’impression des restaurateurs qui avaient examiné l’icône il y a un quart de siècle. Il s’agit probablement de la reproduction d’un type d’icône miraculeuse de la Vierge, que possédait, à l’origine, le monastère de Myrélaion à Constantinople, dont il est question dans la Vita de saint André Salos [28].
[28] PG 111, col. 721A. R. Janin, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin. 3, Les églises et (...)
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Le moine grec Jean Phocas écrit, en 1177, qu’une image miraculeuse de la Vierge Hodigitria, portant le Christ enfant et très ressemblante à l’Hodigitria de Constantinople, se trouvait au monastère de Saint-Gérasimos-et-de-Kalamon [29] ou, selon d’autres témoignages, de la Théotokos [30]. On peut retenir l’hypothèse qu’il s’agit de l’ancienne icône de culte de la Laure ou d’une de ses copies à laquelle on a associé, sur l’autre face et à une époque ultérieure, l’image du nouveau saint patron du monastère.
[29] Vailhe, Les Laures de St. Gerasimos et de Calamon (cité supra n. 1), p. 114.
[30] Ibid., p. 110. A. Papadopoulos-Kerameus, ’Ανάλεκτα ‘Ιεροσολομιτικῆς Σταχνολογίας (cité supra n. 19 (...)
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Le revêtement de feuilles d’argent au repoussé est composé d’un rectangle central, dans lequel ont été aménagées des ouvertures suivant les contours des têtes, des mains et des pieds. Quatre feuilles d’argent forment la bordure du rectangle central, où sont disposées les douze figures en buste des prophètes précités, dans des rinceaux floraux entrelacés. Les motifs floraux naturalistes conduisent aux modes baroques répandues au xviie s. [31] La forme erronée en grec ΔΑΒΙΤ pour ΔΑΥЇΔ = DAVID, me fait penser à une fabrication locale possible.
[31] Des motifs très ressemblants et dans une disposition analogue sur une reliure d’Évangile de 1657 d (...)
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Mais les nimbes de la Vierge et du Christ, aux décors cloisonnés en filigrane, reproduisent des motifs et techniques en usage eau xive-xve s. dans les arts de tradition byzantine et datent certainement de cette époque [32].
[32] Grabar, Les revêtements en or et argent (cité supra n. 27), répert. 32, fig. 68-70 (petites icônes (...)
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b) L’icône de saint Gérasimos (fête le 4 mars) et du lion (Fig. 5) est peinte sur une préparation en plâtre, directement au revers de l’icône de la Vierge Myrélaiotissa, après y avoir ajouté, dès l’origine, deux baguettes de bois, larges de 2,2 cm environ, sur les bords supérieur et inférieur. Ceci, indépendamment du cadre aménagé, probablement au xviie s., pour l’ajuster aux dimensions du revêtement.
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Sur un fond d’or uni, détérioré vers les deux angles supérieurs, le saint est assis sur un siège de forme vague. Nimbé, il porte une chlamyde rouge-brun et un himation bleu-mauve aux plis amples, au dessin géométrique, mais atténué par des lumières et des variations de tons chromatiques. Sa tête de vieillard, penchée, au regard concentré, au nez aquilin, à la barbe et aux cheveux blancs, finement dessinés et rehaussés de lumières blanches, exprime un sentiment de profonde compassion. Il porte des pantoufles noires d’anachorète, assez pointues, seul élément d’influence gothique dans cette composition. De part et d’autre du nimbe, une inscription en rouge donnait le nom du saint : Ο AГΙOC ГEPACΙM[OC Ο ΙΟΡΔΑΝΙΤ]ΗC. Il n’en reste que des traces minimes. Une inscription, de date plus récente, mais détériorée, elle aussi, répète le nom du saint.
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A la droite du saint, le lion, ό κάλαμος, debout sur la queue et les deux pattes arrière repliées, présente ses pattes de devant au saint et tourne de l’autre côté sa tête aux traits un peu humanisés, pour dissimuler sa douleur. La patte avant gauche du lion repose sur le genou du saint qui, à l’aide d’un couteau, est en train de lui enlever une écharde de roseau.
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La scène reproduit le noyau central ou le point de départ d’un cycle dédié au saint anachorète de Palestine [33], lieu où son iconographie a dû prendre naissance et qui reste lié à la fondation, au ve s., des Grandes Laures du désert du Jourdain, et, notammment, de celles de Saint-Gérasimos-et-de-Kalamon (ou, antérieurement, de la Vierge).
[33] Papadopoulos-Kerameus, ’Ανάλεκτα ‘Ιεροσολυμιτικῆς Σταχυολογίας, 4, Saint-Pétersbourg 1897, p. 117, (...)
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À partir du xiie s., nous connaissons quelques rares représentations de la figure isolée du saint. Mais au xive s. – à Saint-Nicolas-Orphanos à Thessalonique, 1310-1320 [34], ou dans l’église d’Ivanovo en Bulgarie, vers 1360 [35] – des cycles comportant des épisodes de la Vita du saint, rédigée au viie s. [36] et à laquelle on a déjà ajouté le récit sur la guérison du lion et son apprivoisement, apparaissent déjà en dehors de Palestine.
[34] A. Xyngopoulos, Οἱ τοιχογραφίες τοῦ Άγίου Νικολάου Ὀρφανοῦ Θεσσαλονίκης, Athènes 1964, ρ. 33-35 ; (...)
[35] Bakalova, Scènes from the Life of S. Gerasimus of Jourdan in Ivanovo (A pictorial interpreation o (...)
[36] Ean Moschos, Αειμωνάριον, éd. H.-J. Rouet De Journel, Le Pré Spirituel, Paris 1946 (SC 12), chap. (...)
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Le thème du lion apprivoisé apparaît comme un lieu commun dans les Vies de certains saints anachorètes ou de personnages bibliques comme les prophètes David ou Daniel, saint Antoine, saint Zosime et d’autres. Il apparaît aussi dans la Vie de saint Jérôme, saint de l’Église d’Occident, également ermite en Palestine, dont le nom et l’existence se confondent avec ceux de saint Gérasimos. Il illustre la paix instaurée entre l’homme – Christ, le nouvel Adam – les animaux et les forces de la nature, sous l’emprise des valeurs spirituelles du monachisme et des doctrines hésychastes [37].
[37] Bakalova, Scenes from the Life (cité supra n. 35).
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Le thème de l’icône représente donc l’épisode central d’un cycle. Elle est contemporaine des cycles précités de la vie du saint, que nous connaissons en dehors de la Palestine, peut-être aussi de peintures dont il ne reste que des fragments infimes dans les ruines de l’ancienne église – de nos jours une crypte au sous-sol de l’église actuelle, du xixe s. – du monastère de Saint-Gérasimos au désert du Jourdain.
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La figure du saint, disposée de biais et de façon commode et naturelle, le modelé des chairs, des cheveux et de la barbe rehaussés de touches de lumières blanches, ainsi que des habits aux plis amples, sont des caractéristiques de la peinture du xive s. Pour le dessin géométrique, mais ample, des formes qui s’estompent en des nuances chromatiques intenses, au dégradé sans contours rigides définis, pour le sentiment intérieur profond exprimé sur le visage penché du vieillard, nous pensons à une œuvre de l’époque des Paléologues, des premières décennies du siècle, exécutée certainement en Palestine mais, peut-être, par un artiste venant d’un foyer d’art plus actif et plus central. A noter le trait archaïque exprimé par le fond or neutre et uni, sur lequel les figures « naturelles » sont projetées, souvenir de la conception de caractère monumental de la période précédente.
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[28] PG 111, col. 721A. R. Janin, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin. 3, Les églises et les monastères, Paris 19692, p. 351-354.
[29] Vailhe, Les Laures de St. Gerasimos et de Calamon (cité supra n. 1), p. 114.
[30] Ibid., p. 110. A. Papadopoulos-Kerameus, ’Ανάλεκτα ‘Ιεροσολομιτικῆς Σταχνολογίας (cité supra n. 19), vol. 2, p. 712.
[31 ]Des motifs très ressemblants et dans une disposition analogue sur une reliure d’Évangile de 1657 de Mihail Trebinjća, au monastère Savina du Monténégro ; voir D. Medaković, Manastir Savina, Velika Crkva, Riznica, Belgrade 1978, fig. 87.
[32] Grabar, Les revêtements en or et argent (cité supra n. 27), répert. 32, fig. 68-70 (petites icônes, « ninia » de Vatopédi) ; répert. 33, fig. 71, (icône de saint Jean le Théologien, Lavra, Athos) ; répert. 39, fig. 84 (icône de la Vierge à l’enfant) ; fig. 88-97 (Moscou, galerie Trétjakov et Oružejnaja Palata).
[33] Papadopoulos-Kerameus, ’Ανάλεκτα ‘Ιεροσολυμιτικῆς Σταχυολογίας, 4, Saint-Pétersbourg 1897, p. 117, 175-184 ; H. Grégoire, La Vie anonyme de StGérasimos, BZ 13, 1904, p. 114-135 ; Morceaux choisis du Pré spirituel de Jean Moschos, éd. D. C. Hesseling, Paris 1931 (Collection de l’Institut Néo-Hellénique de l’Université de Paris 9), p. 84-91.
[34] A. Xyngopoulos, Οἱ τοιχογραφίες τοῦ Άγίου Νικολάου Ὀρφανοῦ Θεσσαλονίκης, Athènes 1964, ρ. 33-35 ; Α. Tsitouridou, Ό ζωγραφικòς διάκοσμος τοῦ Άγίου Νικολάου Όρφανοῦ στὴ Θεσσαλονίκη, Thessalonique 1986 (Κέντρο Βυζαντινών ’Ερευνῶν, Βυζαντινὰ Μνημεῖα 6), ρ. 176-179, pl. 70, 71, 72.
[35] Bakalova, Scènes from the Life of S. Gerasimus of Jourdan in Ivanovo (A pictorial interpreation of the idea of restoring harmony between man and the World of Nature), Zbornik za likovne umetnosti 21, Novi Sad 1985, p. 105-122, 23 figures.
[36] Ean Moschos, Αειμωνάριον, éd. H.-J. Rouet De Journel, Le Pré Spirituel, Paris 1946 (SC 12), chap. 107, p. 154-157 ; PG 87, 3, col. 2965-2969 ; S. Tomeković, Note sur saint Gérasime dans l’art byzantin, Zbornik z.a likovne umetnosti 21, Novi Sad 1985, p. 277-285, 4 figures.
[37] Bakalova, Scenes from the Life (cité supra n. 35).